Bonjour. Commençons par votre parcours. Il est très diversifié !
François Jacquet : – Depuis tout petit déjà, je chante! Dans ma famille, on écoutait beaucoup de musique classique et de chansons françaises, notamment Jacques Brel. En fait, mon père était un chanteur lyrique et toute la famille chantait en amateur... Mon univers musical était très éclectique et je m’amusais à composer des chansons. Mais ce qui m’intéressait surtout, c’était le théâtre : dès mes quinze ans, j’ai suivi des cours de comédien, ce qui m’a permis de jouer en chantant. Après le baccalauréat, j’ai entamé des études de musicologie à l’université de Lyon, à la suite de quoi je me suis consacré au chant lyrique au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse, toujours à Lyon, avec une spécialisation en musique ancienne.

Une fois ces diplômes en poche, vous avez démarré une carrière de chanteur qui vous a mené de chanson française à l’opéra comique.
– Oui, mais je me produisais déjà sur scène depuis le début de ma formation. La rencontre du théâtre et du chant m’a naturellement dirigé vers l’opéra comique et j’ai eu la chance d’interpréter de nombreux rôles phares du répertoire. Et puis il y a la découverte du théâtre musical : j’ai pris un plaisir immense à y participer en tant qu’interprète, mais aussi à me confronter au métier de metteur en scène.

Quelles ont été vos premières mises en scène de spectacles ?
– Parallèlement à mon travail de comédien et de chanteur, j’observais ce qui se passait sur scène lors des répétitions et la direction d’acteurs m’a très vite passionné. Je me suis formé sur le tas. Ma première mise en scène date de 1998 avec «Les mousquetaires au couvent». Depuis, je n’ai jamais pu m’arrêter! Chaque année, je monte un spectacle, que ce soit dans le cadre de la compagnie «Pleine lune, pleine voix» ou ailleurs, où je m’occupe à la fois de la mise en scène et de la direction artistique. C’est un tout! Ce qui m’aide, c’est le respect de l’œuvre : la partition et le livret servent de ciment au spectacle, aux personnages comme au répertoire; viennent ensuite des touches plus personnelles, notamment humoristiques. C’est un peu notre marque de fabrique, maintenant!

À quel moment décidez-vous de monter votre propre compagnie et pourquoi ce nom de « Pleine Lune Pleine voix » ?
– La compagnie est née au printemps 2002 : nous voulions un nom qui évoque la poésie, l’imaginaire, le féérique et aussi que l’on puisse aussi y entendre le chant! Cette création a été un concours de circonstances : nous avions monté un spectacle de chanson française et, pour nous faire payer, nous devions avoir une structure juridique et administrative, d’où le choix de monter une association. Nous avions noué des liens très forts avec le directeur du Sémaphore-Théâtre d’Irigny. C’est vraiment grâce à lui que nous avons pu nous lancer : il nous a commandé des spectacles d’une année sur l’autre, ce qui nous a ouvert des perspectives immenses !

Oui, on imagine difficilement le travail que représentent de tels spectacles ! Pouvez-nous nous l’expliquer brièvement ?
– Pour vous donner une idée précise, je peux vous dire, par exemple, que la compagnie est aujourd’hui constituée d’une trentaine de chanteurs, avec un chœur de vingt-quatre personnes et, selon la distribution, cinq à six solistes professionnels. L’orchestre qui nous accompagne comprend une quinzaine de musiciens, dirigés par un directeur musical, également chef d’orchestre de l’opéra de Saint-Etienne ; ça, c’est le gros des troupes ! Ensuite, il y a toute la partie administrative, l’organisation et la communication, qui sont gérées par Véronique, ma femme, il y a également les décors, qui eux sont réalisés par mon père et son meilleur ami. C’est une véritable entreprise familiale! Sans oublier les costumes et les lumières, des postes qui demandent tous du sang-froid, de la patience en plus une bonne dose de réactivité, car les choses se passent rarement comme prévues...

Concrètement, combien de temps vous prend la création d’un spectacle ?
– Comme un enfant : environ neuf mois ! Dès que je sais quel spectacle je veux monter, je réfléchis tout d’abord aux idées générales : quel ton donner, quel aspect mettre en avant. C’est ce qu’il y a de plus difficile, car cette étape a lieu un an avant le lancement, vu que le théâtre veut pouvoir annoncer dans sa plaquette le programme de l’année suivante! Ensuite Véronique se lance dans la recherche et la location des partitions pour que je puisse créer le livret : c’est un peu la trame, le scénario du spectacle, avec les parties parlées et les parties chantées. A ce stade, on commence la distribution des rôles et l’organisation des plannings des répétitions. On bloque des dates pour les chanteurs et les musiciens, on réserve les salles de répétition et on s’occupe des costumes et des décors en parallèle. Un mois avant la générale, le travail s’intensifie et devient même une activité à plein temps, jusqu’au spectacle proprement dit. Après, le travail de Véronique continue avec la vente du spectacle à d’autres théâtres de France. Tout cela est très lourd, croyez-moi, surtout quand on a deux enfants à la maison !

Aujourd’hui, vous avez su créer votre propre style. Comment le définiriez-vous ?
– Tout d’abord, la compagnie apporte une attention particulière à la qualité musicale et à la mise en valeur du jeu des comédiens-chanteurs. C’est notre credo. Cela passe par un recrutement de chanteurs, sur audition, qui correspond à un niveau très exigent. Ensuite, il y a notre univers d’interprétation : il oscille entre le conte fantastique et la bouffonnerie musicale ; les personnages, ainsi que les décors et costumes, passent, selon les œuvres, du réalisme à l’étrange, du cohérent au burlesque. Depuis longtemps, la troupe a l’habitude d’évoluer dans un monde féérique et un peu décalé. Et le public en réclame! Il veut assister à des spectacles d’opéra comique de bonne tenue, mais où il puisse aussi s’évader, s’émouvoir et rire tout à la fois.

Vous ne faites pas uniquement de l’opéra comique ! La compagnie produit et réalise des spectacles de chansons françaises.
– Oui, ce fut même notre première ambition, puisque nous l’avons créée pour un hommage à Georges Brassens, Boris Vian et Boby Lapointe. Le second spectacle a été entièrement dédié à Léo Ferré. D’ailleurs, c’est autour de Léo Ferré que j’ai récemment encadré un nouveau spectacle avec mes élèves de la Maîtrise du Conseil Général de la Loire, qui a fait l’ouverture du festival stéphanois «Paroles et Musique» ! Une vraie réussite!

Vous enseignez également le chant et le théâtre dans une Maîtrise. À quoi cet enseignement correspond-il ?
– Une Maîtrise est une école musicale intégrée dans le cursus d’un collégien, avec douze heures de cours par semaine, cours qui sont aménagés pour leur permettre de suivre l’ensemble du programme scolaire. Cela va de la 6e à la terminale. Ici, dans la Loire, il s’agit d’une des rares Maîtrises laïques, car bien souvent, ces enseignements ont été créés dans le cadre d’écoles religieuses.

Dans le cadre de la compagnie, vous vous dirigez de plus en plus vers des spectacles à destination des jeunes : collèges et lycées. Pour quelle raison ?
– C’est un souhait des théâtres et des municipalités de faire découvrir le monde du spectacle aux plus jeunes. Evidemment, ces interventions demandent des compétences pédagogiques, des disponibilités et beaucoup d’énergie ! Avec les classes de 6e d’Irigny, par exemple, cela nous occupe huit jours par an, sans compter la préparation, qui se terminent en fin d’année par un petit spectacle d’un quart d’heure. Depuis quinze ans que j’enseigne à la Maîtrise, j’ai pu constater que travailler au contact des enfants est très gratifiant, enrichissant et un excellent remède contre la routine !